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Les idées claires de Caroline Eliacheff

Le mercredi matin sur France Culture, cette psychiatre - psychanalyste partage ses pensées sur tel ou tel sujet de l'actualité.

http://www.franceculture.fr/emission-les-idees-claires-de-caroline-eliacheff-0


Elle en a réuni quelques-unes dans un livre paru en 2010 chez Albin Michel dont j'extrais une chronique, pas au hasard.


Le ticket-psy

(janvier 2009)


"Souffrez-vous au travail ? Auquel cas vous feriez partie des 5% de salariés qui auraient besoin d’une aide « psy ». Savez-vous si votre entreprise met à votre disposition des tickets-psy ? Si vous voulez rester discret sur les harcèlements dont vous pourriez faire l’objet, c’est à la médecine du travail et non à la direction des ressources humaines qu’il faut vous renseigner. De quoi s’agit-il ? Dans les milieux professionnels conseillés par ASP — entreprise dont le slogan, « le mieux-être dans l’entreprise pour une meilleure performance », a le mérite d’être clair —, on expérimente le ticket-psy à cent euros, donnant accès à un maximum de dix séances payées par l’entreprise chez une liste de thérapeutes partenaires. Et si c’est insuffisant, vous pourrez continuer, mais à vos frais. Encore faudrait-il qu’entre temps votre salaire ait augmenté, car il est douteux que vous puissiez payer ce tarif que peu de praticiens pratiquent. La souffrance au travail existe.(…) Loin de moi l’idée de minimiser cette souffrance dont témoignent, entre autres, les médecins du travail. On peut néanmoins s’interroger sur la variabilité historique et culturelle de symptômes qui tiennent le haut du pavé pendant un certain temps puis disparaissent pour être remplacés par d’autres. Exemple : la spasmophilie qui a eu son heure de gloire et qu’on ne voit quasiment plus. Pour savoir ce qui se fait aujourd’hui, il suffit de prendre la liste des dossiers de la revue Psychologies : dépression, stress post-traumatique, fatigue chronique, mal au dos, et, chez les jeunes, l’hyperactivité et la phobie scolaire. Ces troubles, souvent en lien avec le social, posent la question de savoir si l’on peut vivre sereinement dans un monde où tout va mal. C’est comme si la souffrance existentielle et même la maladie psychique la plus grave se modelaient sur les diagnostics et leurs traitements supposés. Et là, il y a le choix : quatre cents formes de psychothérapies sont répertoriées, si bien que l’une d’elles vous convient forcément. La souffrance au travail est un cas fort intéressant parce qu’elle se situe à l’intersection du social, du juridique et de la vie intime. Du social, car ce sont les conditions de travail qui sont présumées responsables des troubles. Du juridique, avec l’apparition d’actions pour discrimination, harcèlement moral et harcèlement sexuel : dans ces cas-là, et uniquement dans ces cas-là, celui qui est mis en cause, disons l’employeur, doit prouver l’absence de charges. Ça s’appelle le renversement de la charge de la preuve. De l’intime enfin, quand il s’agit d’une confrontation individuelle, généralement entre un homme et une femme à propose de comportements inadmissibles relevant de la sphère privée mais s’exerçant dans la sphère publique. On pressent l’intérêt des entreprises et même des syndicats à offrir des tickes-psy à leurs salariés : l’avantage, en terme de production, est d’avoir des salariés qui vont bien, en évitant la remise en cause des conditions de travail et ses éventuelles suites juridiques. C’est avant tout le signe de l’échec de l’action collective régulatrice ce qui est extrêmement grave. (…) En envoyant individuellement le plus faible se faire soigner, l’action collective se dissout en traitant les conséquences et non les causes de la souffrance des salariés. Pour l’entreprise, le ticket-psy, c’est tout bénéfice."


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