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Les débuts - Par où commencer



Qu'est-ce qu'un début dans la vie ? Ressource infatigable de nos récits familiaux, le début d'une vie se réinvente chaque fois, signant la marque du romanesque dans nos existences.Pourquoi recommence-t-on et jusqu'à quand ? Qu'est-ce qui nous fait rechercher l'intensité du sentiment de vivre, l'impatience et l'innocence des commencements ? Et comment conserver cette ardeur au fil des épreuves ? Pour explorer ces débuts, Claire Marin déploie toutes les nuances de son extraordinaire art de comprendre, en lectrice accomplie de nos tourments et de nos joies.


Claire Marin est professeure de philosophie en classes préparatoires aux grandes écoles. Elle a aussi publié deux livres qui furent des succès critiques et publics :

Rupture(s) et Être à sa place



De l'importance d'être inconstant

"Pourquoi devrait-on garder la tête sur les épaules ?" Ralph Waldo EMERSON

Oui, pourquoi ? Pourquoi ne pas faire les fous ? Ou, pour le dire autrement, assumer la contradiction, comme expression dynamique de l'existence. Accepter de se contredire soi-même, de ne pas rester fidèle à une identité déjà fanée. Il faut un certain courage pour se défaire d'une conception morale dominante qui nous détermine avec la force d'un destin. "Ne nous inclinons pas" ordonne le philosophe américain Ralph Waldo EMERSON dans son essai Compter sur soi. A force d'endosser le même uniforme, nous finissons par avoir "tous la même allure et la même tête". Nous sommes trop perméables, trop malléables. Il faudrait savoir résister au magnétisme des attentes, aux autorités de tout ordre. Il n'y a de centre de gravité qu'en " notre propre fonds", dans cette part singulière qui ne s'emprunte pas. "Faites ce qui vous est propre et vous serez plus fort".


Emerson insiste sur la nécessité du détachement, conçu comme un allégement. Changer d'avis, rompre des liens, c'est aussi admettre avec lucidité qu'on les maintient artificiellement par lâcheté, par habitude. On ne se reconnaît plus dans nos emballements de jeunesse. Ces amitiés, ces convictions politiques ou religieuses, cette manière de vivre, de penser ou d'écrire ont cessé d'être vives ; cette position devient une posture. La sincérité exige des abandons de soi. Emerson considère que "savoir traduire le passé devant le tribunal du présent" est une hygiène nécessaire.


Son credo est une incitation à l'inconstance : "Toujours vivre dans un jour neuf". Ne pas s'enfermer dans une identité vide, en contradiction avec celui que nous sommes devenus. Accepter le devenir comme principe d'une existence et assumer les coupes, les brisures. Les tracés de nos vies sont zébrés : "Le trajet du meilleur navire est un zigzag à cent bords". Nous ne sommes pas des satellites dont on pourrait calculer l'orbite par avance. Il y aurait même, de manière plus radicale, une nécessité à tromper les attentes, y compris les nôtres. Il faut savoir renoncer "à tous les retours et à toutes les équivoques". L'apologie de l'inconstance se fait au nom d'une vérité singulière, en mouvement, et du renouvellement nécessaire de soi. S'autoriser la dérive et la contradiction, se défaire d'un "vain souci de constance", cette angoisse qui nous "dissuade d'avoir confiance en nous". Il faudrait être à la fois imprévisible et inflexible. Savoir vivre dans "la perception neuve", sans mémoire, "sous un mode nouveau et sans précédent". "Tout homme vrai, ajoute encore Emerson, a besoin de vies, d'espaces et d'un temps infinis pour accomplir son dessein". Quelle sont toutes ces vies dont on a besoin ?


Pages 155-157

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